Eyes Wide Shut, film envoûtant ou rebutant ?

Cet article est l’occasion pour l’auteur de ces lignes d’exprimer son ressenti sur un film qui a créé des débats sans fin auprès des cinéphiles. EYES WIDE SHUT, oeuvre terminale d’un réalisateur de génie, est un objet de fascination qui parle ouvertement de désir et de sexe avec rien de moins que deux des plus grandes stars de l’époque.

Du cinéma (presque) vérité

Mais il y a un problème avec EYES WIDE SHUT. Quelque chose qui ne prend pas. Ou peut-être est-ce là la volonté d’un film qui se rêve et se fantasme, un objet purement imaginatif de désir refoulé et de peur. Mon rapport avec cet ultime film de Stanley Kubrick a toujours été un peu particulier. Il faut bien avouer

qu’on se pose beaucoup de questions devant la multitude de thématiques abordées et de détails dont raffolait le cinéaste. Il y a d’abord cet aspect cru et direct qui nous plonge dans l’intimité de ce couple. Nicole Kidman apparaît nue puis aux toilettes dans une scène du quotidien au rapport troublant : Kidman et Cruise étaient ensemble à cette époque et semblaient alors jouer une thérapie de couple à l’écran. Un coup d’oeil dans les coulisses du film le révèle : Kubrick les a choisis en sachant pertinemment que leur union battait de l’aile en raison de la présence omniprésente de la scientologie dans leur vie. Cette scission entre les deux explose indéniablement à l’écran.

Cette façon qu’a Kubrick de fabriquer le réel est déstabilisant. Cette longue séquence dialoguée entre les deux époux où Alice explique les travers de son désir pourrait provenir d’une explication de texte entre Tom Cruise et Nicole Kidman eux-mêmes. Le premier se voile la face, la seconde se libère. L’amour entre les deux n’est pas la question, il est bien présent, mais le fantasme, lui, apparaît de manière abrupte et totale. Soudainement, Bill imagine sa femme dans les bras d’un autre, erre dans des rues mal fréquentées et entre carrément dans une orgie à laquelle il n’est clairement pas le bienvenu. Il y aussi là le portrait d’un homme qui ne possède pas le statut « d’en haut », ce qui lui sera clairement expliqué lors de la résolution finale. En cours de route, EYES WIDE SHUT se transforme en un autre film, une errance dans l’esprit d’un homme qui se cherche et pense lui aussi assouvir certains fantasmes. Mais les problèmes qu’il va rencontrer lui montrent que la voie empruntée n’est pas la bonne.

Un film inclassable

Il y a dans ce dérèglement d’un couple, quelque chose d’obsédant, mais aussi de profondément rebutant. Peut-être parce qu’il nous met face à nos propres contradictions. On en revient à la séquence dans la chambre : on comprend aussi bien les réactions de l’un ou de l’autre. Alice est une femme au foyer,

habitée par cette volonté de revendiquer sa féminité, non comme un synonyme de désir mais comme une personne digne d’intérêt dont la valeur ne se résume pas à son physique. Lui y voit une bascule du rapport de force où ses envies sont canalisées par son attachement des conventions (le mariage).

Ce malaise qui parcourt tout le long-métrage se retrouve bien évidemment dans cette séquence d’orgie qui a du être coupée dans sa version cinéma pour éviter une classification X. Bill entre dans un monde dérangeant, presque satanique, à coup de rites et d’instincts primaires. Une nouvelle bascule puisque le récit se transforme ensuite en pur thriller paranoïaque (ce qui n’est clairement la meilleure partie du film). Changements de ton, d’ambiance, folie visuelle, acteurs parfois en roue libre (Kidman en fait quand même des tonnes), personnages antipathiques, monde dominé par le sexe et le fric, EYES WIDE SHUT est clairement un film rebutant. Il n’y a rien de profondément attachant et le tout résonne comme le chant du cygne d’un immense cinéaste qui nous laissera donc avec cette ultime oeuvre qui brave les interdits tout en laissant les clés à deux stars qui étaient probablement un peu fous d’accepter une telle proposition à l’époque. Décidément, je ne sais toujours si j’aime ou déteste ce film…

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