Le dernier Nabab, l’ultime film d’Elia Kazan

En 1976, Elia Kazan sort donc son dernier film, un ultime tour de piste pour un cinéaste précis et souvent décrit comme « celui qui a lancé la carrière de Marlon Brando ». C’est vrai, mais aussi un peu réducteur.

Pour LE DERNIER NABAB, Kazan a réuni un trio d’acteurs magnifique : Robert de Niro, Jack Nicholson et Robert Mitchum. Le film est une adaptation du roman inachevé de Francis Scott Fitzgerald publié en 1941 après sa mort. L’histoire se réfère à celle de l’écrivain et parle, en creux, de son expérience malheureuse

de scénariste à Hollywood. Dans les années 1930 en Amérique, Monroe Stahr (de Niro) est directeur de production d’un des plus importants studios de Hollywood malgré son jeune âge. Depuis la mort de sa femme, l’actrice Minna Davis, il se jette à corps perdu dans le travail et doit faire face aux prétentions sans cesse croissantes des autres professionnels de l’industrie cinématographique (notamment des scénaristes qui sont en train de créer la Writers Guild of America dont leur délégué de plus en plus intrusif est Brimmer (Nicholson) ) et à des déboires sentimentaux. Il croit rencontrer sur un plateau le sosie de Minna en la personne de Kathleen Moore (Ingrid Boulting), une jeune femme pure au passé trouble, mais celle-ci lui annonce qu’elle va se marier alors que Cecilia Brady (Theresa Russell), la fille de son patron Pat Brady, tente en vain d’éveiller son intérêt. 

LE DERNIER NABAB décrit finalement la vie quotidienne d’un producteur tout puissant. Il supervise plusieurs films à la fois, valide l’ensemble des scénarios, visionne les rushs, remplace un metteur en scène si la situation sur le plateau dérape et contrarie une star et choisit même les prises de chaque scène. Là où on peut y voir l’expérience de Fitzgerald, c’est dans cette façon qu’a Stahr de faire réécrire un scénario plusieurs fois alors qu’il a été chapeauté par un écrivain prestigieux. Robert de Niro incarne avec une classe folle ce producteur impitoyable tandis qu’Elia Kazan en fait un portrait diablement pertinent. Il nous montre que dans les années 30, les producteurs étaient les véritables auteurs des films autant que des hommes d’affaires exceptionnels.

Mais au-delà de cette plongée dans le milieu du cinéma, il y a également cette belle histoire romantique, profondément triste. L’obsession que développe Stahr pour Kathleen (superbe Ingrid Boulting qui ne fera malheureusement pas une grande carrière) correspond avec sa chute professionnelle : son pouvoir diminue tandis qu’un syndicat des scénaristes se met en place pour offrir plus de reconnaissance aux auteurs. L’âge d’or des producteurs tout puissants va se terminer et ce qu’incarne Stahr. Elia Kazan le filme avec une grande maîtrise et offre à ses comédiens un terrain de jeu parfait pour exposer leur talent. LE DERNIER NABAB est l’ultime film du cinéaste et son intrigue renvoie directement à la fin d’une époque, Kazan préférant se détacher du cinéma tout en poursuivant son travail d’écriture avec la publication de trois romans.

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