La salle de cinéma est-elle vraiment menacée par le streaming ?

C’est un peu la phrase que l’on entend partout, celle qui veut tout dire et rien dire en même temps. Le streaming tuerait la salle de cinéma, celle-ci étant vaincue par l’offre pléthorique du premier qui engloutit tout sur son passage depuis que la pandémie l’a propulsé au sommet de la pyramide audiovisuelle. Sa facilité d’accès, son contenu toujours plus grand, son prix relativement attractif ou encore sa capacité à cibler parfaitement les envies de ses clients ont parfait un essor gagnant déjà des abonnés au fil des mois pré-COVID. Suite aux confinements successifs et aux salles fermées, les plateformes de streaming ont profité d’être la seule source de diffusion pour acquérir quelques gros projets attendus. Nous sommes désormais en 2022 et la fréquentation des salles n’est pas au beau fixe. Pourquoi ? Le streaming est-il vraiment le principal responsable de cette perte de vitesse ? Les habitudes ont-elles définitivement changé ?

Un nouveau monde

Et si au lieu de présenter un problème, le streaming n’était au final qu’une belle alternative au cinéma en général ? Sur une année, les salles étaient parfois saturées avec des sorties abondantes chaque semaine.

Dans ce contexte, il était difficile voire impossible pour certains films d’exister. Une surcharge qui dessinait déjà le schéma qui s’est accentué aujourd’hui : le grand public privilégie les films les plus attendus. Cela a toujours été, mais il est clair qu’ils sont devenus l’unique baromètre de la fréquentation actuellement. En 2022, par exemple, les sauveurs sont tous américains et à gros budgets : TOP GUN MAVERICK (6,6 millions d’entrées), LES MINIONS 2 (3,8 millions), JURASSIC WORLD 3 (3,5 millions), DOCTOR STRANGE 2 (3,2 millions) et THE BATMAN (3 millions) forment le top 5. L’absence de locomotives hollywoodiennes a d’ailleurs pesé lourd lors d’un mois d’août catastrophique (l’un des pires depuis 25 ans). Les français ont, de leur côté, beaucoup de mal à attirer du monde. QU’EST-CE QU’ON A TOUS FAIT AU BON DIEU ? est le leader national avec seulement 2,4 millions de spectateurs réunis, quand le précédent en avait ramené 6,7 millions ! Une chute spectaculaire. Le cinéma hexagonal serait-il la première victime du « diabolique » streaming ?

C’est un argument avancé par quelques spécialistes et qui mérite forcément une certaine attention. Il faut reconnaître que les habitudes ont changé et que le spectateur veut se déplacer au cinéma pour un « film qui vaut vraiment le coup » (cette remarque universelle pourrait valoir un débat à elle seule) . Le prix ? Eternelle discussion, mais on voit bien que les spectateurs sont prêts à payer chers pour des salles de qualités (dites « premium »). Ils sont même prêts à repayer une place pour aller revoir un film vu et revu depuis 13 ans (voir le succès d’AVATAR pour sa ressortie) ! Le prix moyen du ticket est de 7,06 euros, ce qui n’est finalement pas si élevé quand on le compare à d’autres sorties culturelles. Sauf que le spectateur en veut pour son argent et c’est en partie là-dessus que TOP GUN MAVERICK a fait campagne : l’idée d’un spectacle bigger than life, authentique et colossal. AVATAR, LA VOIE DE L’EAU ne fera pas autrement. Les super-héros, déjà extrêmement populaires avant la pandémie, sont toujours bien implantés. On entend partout une lassitude du public concernant les franchises, mais elles cartonnent toujours autant ! Preuve en est qu’il est toujours difficile de cibler le problème… Le streaming, quant à lui, s’est dynamisé, offrant aux grands cinéastes un espace pour réaliser LE film qu’ils veulent vraiment mettre en scène. Il y a eu ces productions anecdotiques, qui n’auraient absolument pas fonctionner en salles, mais qui ont cartonné sur les plateformes. Il y a également eu de grosses productions avec des stars et des budgets conséquents. Une belle offre en somme qui a alterné le bon et (souvent) le moins bon, mais qui a eu le mérite d’offrir une chance à certaines oeuvres. Des studios ont également revendu une partie de leurs films produits afin de s’assurer la rentabilité. Il y a eu une forme de dualité entre le streaming et la salle, une scission largement alimentée par les médias, mais aussi les artistes qui ont pointé du doigt un système commercial ne permettant plus à certaines oeuvres d’exister en salles.

L’importance du public

Quoi qu’il en soit, la demande est toujours plus forte et les envies toujours plus variées. Au coeur de tout ce système existe un seul vrai décisionnaire : le public. C’est lui qui oriente le marché par ses choix. Que ce soit les entrées en salles ou les minutes regardées en streaming, il représente la seule vraie valeur

indiscutable pour laquelle se bat l’industrie. Si demain les spectateurs ont décidé de ne plus aller voir les super-héros au cinéma, ces derniers vont commencer à s’effacer au fur et à mesure puis disparaître au fil du temps, remplacés par un autre âge d’or. L’art, de quelque nature que ce soit, a toujours fonctionné par cycle et renouvellement. Que ce soit le streaming ou la salle, leur but est de nous attirer et de surfer sur ce qui fonctionne. Sauf que l’un possède moins de contraintes que l’autre. C’est vrai, balancer un film sur une plateforme est d’une grande simplicité, en faire la promo aussi. Au cinéma, c’est plus difficile. Il faut le vendre à l’avance, le distribuer (et c’est coûteux), l’afficher, donner l’envie aux gens de se déplacer. Ce n’est pas la même chose que de lancer un projet pour des abonnés qui ont déjà payé leur mensualité… En revanche, le prestige d’une sortie au cinéma reste. Même les cinéastes ne peuvent nullement admettre l’inverse. David Fincher, Martin Scorsese, Alfonso Cuaron, tous auraient préféré voir leur film exploiter en salles. On en revient ici à la prise de risques limitée que prenne les studios. Les plateformes n’ont fait que récupérer les pots cassés, offrant des ponts d’or à ces réalisateurs reconnus. Et elles se sont données, du même coup, une certaine crédibilité…

Aujourd’hui, il faut cohabiter et trouver le meilleur des équilibres. Dans le fond, même les studios ont compris l’importance de la salle de cinéma. On le voit avec la WARNER qui rétropédale concernant sa plateforme HBO MAX. La durée de vie d’un film est désormais allongée, les profits aussi. En France, c’est assez particulier, puisqu’on ne peut pas visionner en streaming un film sorti quelques mois avant en salles (à cause de la chronologie des médias). Pourtant, le monde a changé, les habitudes ne sont plus les mêmes, et les spectateurs ont besoin de toujours plus s’évader. Le streaming a pris de la place, certes, mais la salle de cinéma reste un sanctuaire toujours très apprécié qui doit cependant trouver un nouveau souffle pour retrouver son niveau d’avant-COVID. L’espoir demeure : aux USA, les mois de mai-juin-juillet ont retrouvé les hauteurs de 2019, une année record.

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