Pourquoi les scènes d’action des blockbusters sont-elles devenues décevantes ?

Je vous l’accorde, la question est un poil provocatrice. Mais dans le fond, est-elle vraiment éloignée de la réalité ? Si vous vous posez pour y réfléchir, vous verrez qu’objectivement, peu de scènes d’action mémorables vous reviendront en tête quand vous tenterez de passer en revue les dix dernières années. Alors que les années 2000 ont un peu représenté le sommet des séquences épiques, les années 2010 ont transformé les blockbusters en imagerie numérique impersonnelle traversée par des scènes d’action souvent illisibles.

Un recours abusif au numérique

L’idée n’est pas d’opposer le numérique et la bonne vieille façon de faire du cinéma pré-numérique. Cette technologie a considérablement développé le cinéma fantastique et de science-fiction, tout en permettant de faciliter les conditions de tournage d’une manière générale (car oui, il y aussi tous ces effets visuels invisibles et minimes qui peuvent modifier ce qu’on voit à l’écran). Mais revenons à notre problématique : pourquoi les scènes d’action sont globalement décevantes aujourd’hui ? Parce que le numérique a pris une (trop) grande place. Ceci est un fait. C’est clairement l’option de facilité qui plombe littéralement 80 %

des blockbusters modernes. On constate par exemple qu’une trilogie comme LE SEIGNEUR DES ANNEAUX l’utilisait à bon escient tandis que sa suite, LE HOBBIT, en abuse. La saga de Peter Jackson est probablement l’un des meilleurs baromètres de cette surenchère. Qu’on se le dise, LE HOBBIT a déjà pris un sacré coup de vieux en seulement dix ans. La texture visuelle est lisse, certains décors sonnent faux et les séquences d’action, certes bien construites, apparaissent régulièrement abusives (défiant, au passage, toutes lois physiques). Bien sûr, l’incomparable talent de Peter Jackson sauve largement la mise (LA BATAILLE DES CINQ ARMEES regorge de moments hallucinants), mais on reste à bonne distance des monstrueuses séquences du SEIGNEUR DES ANNEAUX.

Mais si LE HOBBIT parvient tout de même à s’en sortir, c’est grâce à son cinéaste. Là réside toute la problématique. La plupart des blockbusters actuels ne sont pas dominés par leurs metteurs en scène qui se contentent souvent de filmer les scènes « simples » (celles qui nécessitent une direction d’acteurs), en laissant au passage le soin des effets visuels et des séquences d’action à une équipe d’informaticiens talentueux, mais pas toujours aiguisés d’un sens de la cinématographie. D’autant qu’à leur décharge, les délais sont de plus en plus serrés et qu’il est donc difficile de peaufiner la texture des images. Constatez un peu ces différences : La trilogie SPIDER-MAN de Sam Raimi est une leçon de mise en scène en terme de grand spectacle. Si le premier a un peu vieilli, il reste construit habilement. Le deuxième reste d’une fabuleuse maîtrise. En le comparant à NO WAY HOME, on sent tout de suite la différence de niveau. Le climax qui réunit les trois Spider-Man ne possède aucun souffle, gâché par une photographie terne et un montage brouillon. La séquence du métro dans SPIDER-MAN 2 est une pure extase visuelle, façonnée avec intelligence et entière lisibilité. Même le troisième opus met clairement une claque à la dernière trilogie de l’homme araignée.

Il est difficile de trouver des équivalents à de nombreux blockbusters des années 2000 comme la trilogie PIRATES DES CARAÏBES de Gore Verbinski. En la revoyant récemment, j’ai constaté à quel point à elle n’avait pas pris une ride. Là aussi, on a un cinéaste qui impose sa vision et accouche de trois films d’une beauté visuelle sidérante. Il ne se refuse rien, se rajoute tout un tas de galères (filmer sur l’eau,

amplification visuelle par la pluie, prises de vues en extérieur) et nous embarque dans une aventure hors normes. Les séquences d’action sont inouïes de générosité, entre l’attaque d’un immense Kraken, les batailles maritimes de pirates, la phénoménale bataille finale du troisième film. ILM a fait un boulot dément de précision, notamment en ce qui concerne les personnages numériques et plus particulièrement Davy Jones (son entrée dans LE SECRET DU COFFRE MAUDIT avec cette flamme qui l’éclaire est un petit bijou). Les quatrième et cinquième épisodes de la saga sont bien moins impressionnants, gâchés par des contingences commerciales et des cinéastes peu à l’aise avec l’exercice. Revoyez la saga et constatez à quel point le spectacle diffère entre les trois premier et les deux derniers…

La pertinence de l’action

La séquence d’action doit aussi posséder une logique narrative et répondre à de véritables enjeux. Steven Spielberg et James Cameron sont deux cinéastes qui la représentent le mieux. Voyez un peu comme LA GUERRE DES MONDES parvient à doser magnifiquement sa surenchère par la grâce du point de vue : cette inoubliable fuite en avant, entièrement filmée par le biais du personnage principal (incarné par Tom Cruise). C’est un exemple parmi tant d’autres dans la carrière du cinéaste qui témoigne de la valeur d’une séquence d’action. Chez Cameron, les effets visuels sont un apport nécessaire à son histoire, mais ne prennent jamais le dessus. Qui peut se targuer d’avoir fait mieux en terme d’ampleur que son TITANIC ? Peu de monde. Aujourd’hui, on se retrouve régulièrement dans des univers trop proches qui ne gâtent que rarement nos rétines. Pourtant, l’action en « dur » reste l’une des meilleures façon de faire. La saga FAST AND FURIOUS, malgré sa surenchère, l’a parfaitement compris, les neuf épisodes regorgeant de cascades réalisées sur le plateau. MISSION IMPOSSIBLE, portée par la rigueur physique immortelle de Tom Cruise, possède des morceaux d’anthologie, sans recours abusif au numérique. Il reste encore une volonté de revenir aux fondamentaux dans le blockbuster actuel, mais elle reste encore trop partielle.

Le MARVEL UNIVERSE est peut-être le plus symptomatique d’entre tous car le plus populaire. Honnêtement, citez-moi les séquences d’action mémorables dans la vingtaine de films proposée ? Difficile, non ? Il y a bien l’ample bataille de New-York dans AVENGERS (même si l’aspect lisse et télévisuel de la mise en scène a déjà pris un coup de vieux), les combats mano a mano de CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER, le sympathique affrontement final des GARDIENS DE LA GALAXIE ou encore le double climax de INFINITY WAR. Et c’est à peu près tout. Même AVENGERS ENDGAME n’a pas un morceau de bravoure à la hauteur si ce n’est le plaisir pris pour un fan de voir tous les personnages réunis au même endroit. La question n’est pas d’aimer ou non les films, mais de les juger sur leur aspect visuel et leur exécution. Un film comme BLACK PANTHER souffre de ces fonds verts trop visibles et d’un recours aux effets numériques qui gâchent de nombreuses séquences d’action. La photographie terne et grisâtre du combat à l’aéroport dans CIVIL WAR n’apporte aucune ampleur. Le problème vient aussi du rythme soutenu des productions MARVEL qui empêche là aussi les boites d’effets spéciaux à correctement faire leur boulot (sans parler des pressions qu’elles subissent…) Son rival, DC, n’est pas bien mieux loti, le numérique dégoulinant ayant gâché plus d’une scène (le climax de WONDER WOMAN, celui de BATMAN V SUPERMAN, SUICIDE SQUAD tout entier). Toutefois, Zack Snyder a parfois réalisé quelques prouesses comme la séquence inaugurale de BATMAN V SUPERMAN ou quelques combats épiques dans MAN OF STEEL). Mise en évidence par les super-héros, cette difficulté d’impressionner les spectateurs met en relief le manque flagrant d’inventivité dans l’action. Tout y est fonctionnel, exécuté machinalement. Dans le fond, pourquoi se casser la tête à être ambitieux quand tous vos films cartonnent ?

De l’espoir pour l’avenir

Un meilleur équilibre du numérique et une vraie volonté narrative pourront largement aider les futures productions. Il faut que les effets soient au service de l’histoire, ce qui nous offrira alors de meilleurs blockbusters. Quand on voit DUNE, par exemple, Denis Villeneuve ne se fait jamais écraser par son ampleur visuelle. Il la dompte et impose sa vision, qu’elle plaise ou non. Sur THE BATMAN, Matt Reeves nous met en scène une course-poursuite complètement dingo qui surprend le spectateur. Mieux encore, TOP GUN MAVERICK a largement défié toute la concurrence avec un spectacle « en dur » qui fait un malheur en salles. C’est peut-être là le salut du blockbuster : le succès de MAVERICK peut engranger une nouvelle spirale et inspirer les studios. Il faut tenter de s’affranchir des codes et retrouver une forme d’apaisement dans la réalisation pour limiter la surenchère. Un gros chantier, mais on peut toujours espérer.

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