Les dents de la mer, le cauchemar de Steven Spielberg

Le point de départ des DENTS DE LA MER commence par un projet assez banal de l’écrivain Peter Benchley, petit-fils de l’humoriste et acteur Robert Benchley. C’est une interprétation libre d’une pièce d’Ibsen nommée UN ENNEMI DU PEUPLE dans laquelle les conseillers d’une station thermale tentent de dissimuler le fait que l’eau des bains est polluée. Benchley remplace la pollution par un requin et le tour est joué !

Les producteurs Richard D.Zanuck et David Brown achètent les droits du roman pour 175 000 dollars. Un petit investissement quand on sait que le livre s’est déjà vendu à plus de 5,5 millions d’exemplaires ! Après le désistement du réalisateur choisi, Steven Spielberg va donc hériter du projet. Il a 28 ans à l’époque et ne s’attend pas du tout aux événements qui vont arriver. Premier choix de taille, Spielberg ne veut pas que l’on construise un réservoir d’eau pour simuler l’océan. Non, le cinéaste veut réellement tourner sur l’eau pour que son film fasse vrai. Il est d’ailleurs très sûr de lui.  » Je voulais affronter les éléments « , déclara-t-il.  » Je voulais que les gens croient que tout cela était réel. « . Très (trop) confiant, Spielby va vite déchanter dès les premiers jours de tournage.

Premier obstacle ? L’organisation de courses de voiliers au large de Martha’s Vineyard, le lieu où se tourne le film. Il fallait donc attendre qu’ils aient disparu pour tourner car il était impossible de filmer des scènes d’attaques de requin terrifiantes contre trois types en bateau avec des dizaines de voiliers en toile de fond !

Nouveau problème, quand ils partaient, les courants déplaçaient systématiquement tout le matériel. L’équipe technique perdait alors plus de deux heures à tout remettre en place. Puis vint l’heure du déjeuner. Ensuite, le même manège recommençait l’après-midi. Le soir, il ne restait plus qu’une seule prise valable. Quand il y en avait une…

Au studio, on voit les coûts du film exploser. À un moment, il est question de remplacer le cinéaste. On lui laisse tout de même sa chance d’autant que le fameux requin va bientôt faire son entrée dans le planning de production. Enthousiaste, Spielberg va vite déchanter.  » Nous sommes le 38ème jour de tournage, un dimanche. Tout se passait à la perfection. Puis tout à coup, la tête plongea. Puis la queue bascula dans l’autre sens. Il y eut une gerbe de bulles, puis une autre, et ce fut le silence complet. Un silence terrible. En fait, notre requin sombrait au fond de l’océan. « . Optimistes, les producteurs s’attendaient à ce qu’il soit réparé le lendemain matin. Mais il s’avéra qu’il ne serait pas prêt pour les gros plans avant trois à quatre semaines. Evidemment, tout le monde est pris de court. C’est là que Spielberg a une idée folle. Mais une idée géniale.

 » Il me fallait une solution rapide et efficace. Il s’agissait essentiellement de suggérer la présence du requin sans jamais le montrer complètement. « . Si, aujourd’hui, on peut trouver ça vraiment excellent, à l’époque du tournage beaucoup ne rigolent pas. Sid Sheinberg, l’emblématique directeur de UNIVERSAL STUDIO qui lança la carrière du cinéaste, vint voir ce dernier sur le tournage avec tristesse. Il lui dit. « Ecoute, c’est une catastrophe. Je ne sais plus quoi faire. On pourrait arrêter les dégâts maintenant. Assumer nos pertes, retourner à Los Angeles et ne plus jamais parler des DENTS DE LA MER. On peut annuler tout simplement la production. Mais si tu décides de continuer, je te soutiendrai à 100 %. « . Une loyauté extraordinaire qui poussa le cinéaste à se battre encore et encore.

Plus de cent jours de retard sur le planning initial et un dépassement de budget faramineux plus tard, LES DENTS DE LA MER était fin prêt à sortir sur les écrans. La suite appartient à l’Histoire. Spielberg était loin de s’imaginer que ce cauchemar serait une profonde révolution qui changerait à jamais la face d’Hollywood. A l’époque, les films étaient distribués de façon progressive : d’abord une sortie en avant-première dans les salles bien choisies des centres-ville, puis une sortie élargie aux salles des banlieues proches et enfin de la grande banlieue. Il n’était pas rare qu’un film sorte avec peut-être une cinquantaine de copies en tout et pour tout à l’échelle nationale. La distribution des DENTS DE LA MER se déroula tout autrement : 400 copies furent distribuées d’un seul coup. Le succès est fracassant, hors normes. 260 millions de dollars amassés, ce qui correspond, aujourd’hui, à 1,137 milliard de dollars ! Et ce chiffre ne prend en compte que les recettes américaines.

Steven Spielberg sait ce qu’il doit à ce film qui fut si difficile à monter.  » Je suis profondément reconnaissant au public qui a aimé ce film et en a fait un tel succès, ce qui m’a donné ce dont je rêvais : devenir un réalisateur reconnu et accéder à l’indépendance. Il m’a donné la liberté. Et je n’ai jamais perdu cette liberté. « . Ce ne sera effectivement que le début.

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