Youth, Michael Caine et Harvey Keitel chez Sorrentino

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Lors de sa sortie, le film de Paolo Sorrentino a déstabilisé et divisé de nombreux spectateurs. YOUTH est-il un film magnifique, porté par deux acteurs virtuoses ou un long-métrage qui intellectualise un propos simpliste ?

Qu’essaie de montrer le cinéaste italien ? Le rapport de deux artistes face à la mort et la vieillesse ? Leur rapport avec leurs progénitures ? Une connexion avec une forme de spiritisme et d’élévation raccord avec l’art lui-même ? Peut-être tout ça à la fois. Sans compter les innombrables sous-intrigues qui, dans une forme de montage miraculeux et foutraque, trouvent leurs places naturellement. Comment aborder

autant de thématiques en deux heures ? Sorrentino, malgré quelques maladresses ou sur-esthétisation, trouve sa réponse dans le cadre, le champ et le hors-champ. Toujours à la lisière du mauvais goût comme du grotesque, le cinéaste trouve pourtant une forme de poésie terrassante qui prend aux tripes. Prenons l’exemple du « concert devant les vaches » où le personnage du formidable Michael Caine s’improvise maître d’orchestre (ce qu’il est, même un des plus célèbres) devant le scintillement et bruitages naturels. Il tend justement à montrer un personnage en plein doute existentiel, qui a peur de la vieillesse et de l’attente, celle d’avant la mort. Il reprend son inspiration loin des pressions que lui exerce l’émissaire de la reine pour qu’il dirige un orchestre.

Et loin de cette pression, Sorrentino a choisi la paisibilité d’un hôtel dans les Alpes. Le silence, la tranquillité. Des hommes et femmes filmés comme des statues, perdus dans des limbes de pensées. Parfois, sa caméra se perd durant deux minutes, filment les autres, tranche radicalement avec la scène précédente. Puis il revient à l’une de ses intrigues. Avec le personnage de Harvey Keitel, prodigieux en scénariste maîtrisant les émotions mais incapable d’affronter la réalité. En témoigne ces séquences cocasses où le duo Keitel-Caine parie si un couple va se parler ou pas. Ou alors cette incapacité qu’il a de raisonner son fils quand celui-ci quitte sa femme (la fille de Caine) pour une bimbo chanteuse de variété. Il vit dans le cinéma, ne s’arrache à la réalité que l’espace de quelques secondes. Et quand celle-ci le rattrape, il ne l’affronte pas, il la fuit.

En plus de ce duo, il y a Paul Dano, en acteur blasé, et Rachel Weisz dans l’un de ses meilleurs rôles, en fille trompée par son mari et en perte de repères. Dano est une ombre, dévoré par l’un de ses rôles les plus populaires qu’il lui colle à la peau. Après avoir crée un personnage emblématique, peut-on s’en

défaire ? Question intéressante qui ne trouve pas de réponse ici. Ou peut-être dans sa transformation finale assez hilarante. Weisz est quant à elle une fille qui fut toujours délaissée par son père, amoureux de la musique et des musiciens comme elle le raconte dans l’une des meilleures scènes du film, un long plan fixe d’une minute qui laisse sans voix. Ou quand le cinéma est utilisé avec puissance et minutie. On pourra juste tiquer sur le sosie de Maradona, maladroit et un peu placé n’importe comment.

Pour finir, au-delà de la vie, c’est bien l’art qui est mis en valeur ici. C’est lui qui distille les émotions, lui qui fait vivre les deux protagonistes, lui qui les met face à cette fameuse élévation. Le personnage interprété par Paul Dano devient d’ailleurs l’incarnation de cette dernière quand il parle du désir et des émotions. La vie montée comme une mise en scène, des décors à son ridicule. Le ridicule de naître pour disparaître, le ridicule des émotions qui nous font souffrir. Il met en valeur cela grâce à la force de dialogues merveilleux, ceux-ci étant interprétés par des acteurs merveilleux, mais également avec une force musicale puissante. De tubes FM à titres élégiaques renfermant tout le malheur du monde, le réalisateur a trouvé son sommet cinématographique. Et que dire de la scène finale, que beaucoup ont trouvé surchargé, mais qui pourtant révèle l’explosion finale de ces deux heures de beauté cinématographique absolue. Il y a du trop-plein, des plans que le cinéaste balance parfois n’importe comment mais YOUTH s’en sort, paradoxalement, grandi.

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