« Le problème humain allait de pair avec la recherche formelle. Le problème était de ne pas tomber dans la complaisance et, en même temps, de donner toute sa dimension fantastique à ce drame. » Voici comment David Lynch décrivait sa problématique face à ELEPHANT MAN. Dans cette rétrospective, j’ai abordé deux films qui ont fortement divisé le public (MULHOLLAND DRIVE et SAILOR ET LULA), et nous poursuivrons ensuite avec les autres longs-métrages qui ont également partagé l’opinion. Mais David Lynch aura tout de même connu les fastes du succès avec ce superbe ELEPHANT MAN, dont la portée reste palpable plus de 45 ans après sa sortie.
Une histoire forte
Après l’immense étrangeté de ERASERHEAD, David Lynch a fait parler de lui. Le producteur Stuart Cornfeld en était un grand admirateur et a appelé Lynch pour le rencontrer. Ils tentent de monter un projet appelé RONNIE ROCKET avant que celui-ci ne capote. Ils restent en contact et Cornfeld lui envoie alors des scénarios préexistants. Rien qu’à la lecture du titre, Lynch sait qu’il fera ELEPHANT MAN. Adapté des mémoires de Frederick Treves, qui prit donc en charge Joseph Merrick (surnommé « Elephant Man »), le script passe ensuite dans les mains de Mel Brooks via Anne Bancroft (qui joue dans le film). Brooks vient de créer sa société de production et lance véritablement le projet.
Lynch peut offrir sa vision
Brooks accordera son entière confiance à Lynch, le défendant même au montage pour que ce soit SA version qui sorte en salles. Un soutien précieux. Alors que Dustin Hoffman est pressenti pour jouer Merrick, c’est finalement John Hurt qui est choisi. L’acteur a notamment marqué les esprits dans MIDNIGHT EXPRESS et ALIEN, se parant d’une empathie immédiate qui séduit Lynch. La réalisation, elle, passe par un énorme défi : conceptualisé le personnage principal. Il faut environ sept heures de maquillage pour réaliser la tête de l’homme-éléphant, conçue à partir d’un moulage original de la tête de Joseph Merrick appartenant à la collection permanente du London Hospital Museum and Archives. De quoi offrir une dimension indéniablement réaliste. Le maquilleur Christopher Tucker mit huit semaines à réaliser son moulage, composé de quinze éléments différents taillés dans une mousse souple. Le résultat impressionnera le plateau tout entier.
Le point de vue comme moteur
Anthony Hopkins, de son côté, donne ses traits au docteur Frederick Treves. La connexion entre les deux acteurs est évidemment la grande force du film. David Lynch atteint ici une universalité absolument bouleversante, questionnant au passage notre point de vue sur les différences de chacun. Il y a une élaboration du regard dans cette oeuvre, une réflexion sur l’exposition et l’enfermement liés à la monstruosité. L’homme-éléphant est d’abord un homme que l’on découvre par le regard horrifié des autres. Ce sont ces regards qui lui donnent ce statut de monstre. Dans le fond, nous sommes ici pleinement dans les thématiques que le cinéaste a constamment explorées : la monstruosité, le drame psychologique, l’étrangeté, l’onirisme, le mal et l’innocence. Tout est présenté avec une maîtrise saisissante, de la BO sublime de John Morris, en passant par ce noir et blanc parfait de Freddie Francis jusqu’à l’interprétation monumentale du casting.
Nommé huit fois aux Oscars, le film n’en remportera… aucun ! En revanche, il restera comme le plus grand succès commercial du cinéaste. Produit pour 5 millions de dollars, il en remportera 26 millions. En France, ELEPHANT MAN restera son score le plus élevé avec 2,443 millions d’entrées cumulées. En dehors de ces données chiffrées, il est indéniable que le statut de ce chef-d’oeuvre a dépassé le cadre du cinéma pour devenir un véritable phénomène culturel et une œuvre intemporelle, abordant des thématiques universelles telles que la dignité humaine, l’acceptation de la différence et la cruauté de la société face à l’inconnu.

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