Bad Lieutenant, la noirceur de l’âme selon Abel Ferrara

1992. Abel Ferrara revient derrière la caméra deux ans après son ténébreux THE KING OF NEW-YORK dominé par un Christopher Walken hallucinant. Pas de retour vers la lumière avec BAD LIEUTENANT, bien au contraire : c’est une plongée dans l’Amérique d’en bas où on y voit un Harvey Keitel flippant dans la peau d’un flic pourri et violent.

Un sombre fait divers

Lorsqu’une nonne est violée par deux hommes dans une église, celle-ci place une récompense sur la tête des deux criminels. Le Lieutenant voulant payer les dettes qui mettent en danger sa propre vie, décide de rechercher les criminels, tel un chasseur de primes. Sa descente aux enfers ne verra plus de fin. Et le spectateur non plus. L’inspiration vient d’un sordide fait divers sur lequel Bo Dietl, le détective qui a retrouvé les coupables, revenait en détail dans son autobiographie ONE THOUGH COP. « Le point de départ, c’est une bonne soeur qui avait été violée et mutilée à New York au début des années 80 » déclarait Abel Ferrara lors de la ressortie du film en 2018. « Ça avait fait pas mal de bruit, il fallait absolument choper le mec qui avait fait ça.« . Le bouquin de Dietl a largement inspiré le cinéaste qui a co-écrira le script avec son amie Zoë Lund (qui décédera d’une overdose à l’âge de 37 ans seulement).

La thématique de l’addiction

BAD LIEUTENANT est un film fait avec les moyens du bord, tourné en 18 jours pour seulement 1 million de dollars de budget. Le style est express, nerveux. Harvey Keitel se lance à corps perdu dans un rôle difficile, un personnage qui accumule les addictions et les idées perverses. « Mon père état un bookmaker » a expliqué le cinéaste. « C’était sa vie, et ce film est en partie son histoire. J’ai grandi avec ça et je déteste les paris depuis. C’était le genre de mec qui doublait la mise à chaque fois. On dit que, pour un parieur, la deuxième meilleure sensation après gagner est de perdre. C’est sans fin et c’est ce que je voulais montrer. ». Le long-métrage reste d’ailleurs une retranscription de l’univers entourant Ferrara : certains de ses amis sont

accros à l’héroïne, d’autres sont alcooliques ou encore au sexe. Pour le lieutenant, il a décidé de cumuler l’ensemble de ces addictions pour en faire un être détestable qui jouit de son badge de policier pour faire tout ce qu’il entend. « Les addicts ont normalement peur de la police. Pas lui. ».

Une vision marquante

Les images hantent nos esprits et quelques séquences sont proprement stupéfiantes et… malsaines. Comment ne pas l’être devant celle où le lieutenant arrête deux jeunes femmes en se masturbant devant elles ? « L’accueil a été très varié » admet Ferrara. « Ça reste une scène infâme, alors forcément, ça peut provoquer un rejet. ». S’étendant sur près de neuf minutes, la scène a marqué les esprits. Tout comme le film dans son entier qui divisera profondément les spectateurs ainsi que sa conclusion qui résonne comme une forme de rédemption, un concept que ne partage pas son auteur. « On me dit ça tout le temps. Mais après s’être défoncé la tronche et s’être fait du mal non-stop il finit par voir Jésus. Mais on parle de quoi en fait ? D’une vision ? D’un rêve ? D’un trip ?« . Après ce tournage éprouvant et rapide, Harvey Keitel ira faire un tour chez un nouveau cinéaste, un certain Quentin Tarantino qui prépare RESERVOIR DOGS. Quant à Ferrara, il se concentrera sur l’étrange BODY SNATCHER, une autre adaptation du roman éponyme de Jack Finney.

En 2009, Werner Herzog tentera de remettre au goût du jour BAD LIEUTENANT avec une sorte de spin-off / suite / reboot dans lequel Nicolas Cage incarnait à son tour le lieutenant. Sans toutefois être aussi imposant que son aîné…

Laisser un commentaire