Barry Lindon, l’immense folie de Stanley Kubrick

Stanley Kubrick a marqué l’Histoire du cinéma avec une forme de mégalomanie que seuls les plus grands artistes sont capables d’atteindre sans se griller. Tout le monde aura son Kubrick préféré, mais BARRY LINDON reste une véritable folie, un chef-d’oeuvre absolu qui réussit tout, à chaque instant.

Une reconstitution dantesque

C’est aussi l’histoire d’une réaction, d’un enchaînement d’événements qui font que BARRY LINDON a vu le jour. Kubrick désirait ardemment réaliser un film sur Napoléon, le cinéaste étant fasciné par l’empereur français. Ayant déjà rassemblé une pile considérable d’informations sur la période, le réalisateur est prêt à mettre en scène son oeuvre ultime, une reconstitution historique qui mettra tout le monde d’accord. Son perfectionnisme légendaire le poussait à étudier chaque étape afin que l’ensemble soit d’une immuable cohérence. Le projet ne se fera malheureusement jamais et NAPOLEON deviendra ce film fantasmé qui ne verra pas le jour.

Il adapte ici le roman écrit par William Makepeace Thackeray, MEMOIRES DE BARRY LINDON, ESQUIRE, PAR LUI-MÊME. Son objectif était d’exploiter une époque qu’il aime tant et pour laquelle il a rassemblé quantités d’informations. Clairement, Kubrick ambitionne de réaliser son 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE en costumes et désire pousser le réalisme à son paroxysme en éclairant notamment le film… à la bougie ! Un procédé révolutionnaire qui semblait impossible à mettre sur place dans les années 70. Mais le cinéaste ne part pas dans cette direction sans s’être informé un minimum sur le procédé. Il se mit alors en quête d’un objectif géant capable de laisser entrer suffisamment de lumière. Il lui fallut trois mois pour le trouver, un Zeiss 50 mm conçu… par la NASA pour être utilisé sur la Lune ! Une caméra spéciale a ensuite été aménagée pour fixer cet objectif. Le genre d’avancée et d’expérimentation que ne renierait pas un certain James Cameron… Avec son excellent chef-opérateur John Alcott, il réalise alors une prouesse visuelle qui reste encore et toujours gravée. Le film devient un tableau vivant, doté d’une esthétique hors du commun.

Un tournage heurté

Tout dans BARRY LINDON respire l’authenticité. Les costumes créés par Ulla-Britt Söderlund et Milena Canonero ont été conçus à partir de modèles authentiques et ont demandé plus d’un an de travail ! Pour la bande-son, le cinéaste avait d’abord pensé à utiliser exclusivement une musique du XVIIIème siècle.

Malheureusement, en écoutant de nombreuses partitions de cette époque, il se rend compte qu’il n’y aucun véritable souffle et qu’elles ne pourront pas correctement accompagner le film. Il « trichera » quelque peu et prendra des musiques composées plusieurs décennies après. Quoi qu’il en soit, cette épopée est pensée pour que le spectateur plonge littéralement dans une autre époque. Pour le tournage, il pense d’abord à le faire au plus près de chez lui, mais cela va rapidement se révéler impossible. Il doit alors se résoudre à trouver un autre endroit. Ce sera l’Irlande.

Mais le choix sera vite problématique pour Kubrick. L’Irlande est alors troublée par de nombreuses tensions politiques et le cinéaste se sentira même personnellement menacé. Au début de l’année 1974, les prises de vues furent arrêtées après que la production ait reçu des menaces de mort visant Kubrick lui-même. Les renseignements irlandais leur expliquèrent alors que le réalisateur était une cible potentielle de l’IRA. Déménagement immédiat de toute l’équipe et direction Londres où le film sera terminé. En tout, le tournage, s’étalera sur 300 jours.

Le montage est lui aussi très long jusqu’à sa sortie du film aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Stanley Kubrick mit tellement d’énergie dans ce projet que sa réception fut difficile à encaisser pour le cinéaste. Résultat, BARRY LINDON ne récolta que 9 millions de dollars et des avis globalement négatifs dans les pays anglo-saxons. L’Académie des Oscars le récompensa tout de même de 4 oscars (meilleure direction artistique, meilleure photographie, meilleure création de costumes et meilleure musique), mais aucun pour le réalisateur, une nouvelle fois oublié. Mais le génie de cette oeuvre sera admiré en Europe, certains pays lui réservant le vrai triomphe qu’elle mérite. Ainsi, lors de sa sortie en France le 8 septembre 1976, il attira 3,475 millions de spectateurs dans les salles, soit le troisième meilleur score du cinéaste dans l’Hexagone derrière ORANGE MECANIQUE (6,193 millions d’entrées) et SPARTACUS (3,525 millions de tickets vendus). Stanley Kubrick attendra ensuite cinq ans avant de revenir derrière la caméra pour le mémorable SHINING.

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