As Bestas, une histoire de territoire

Le réalisateur Rodrigo Sorogoyen nous a déjà offerts quelques films exemplaires par le passé comme QUE DIOS NOS PERDONE, EL REINO ou encore MADRE. En 2022, il a livré l’un de ses opus les plus acclamés : le puissant AS BESTAS.

Un affrontement parfaitement mis en place

Soulignons d’abord le courage du distributeur français LE PACTE d’avoir lancé le long-métrage en plein été, une période peu propice au cinéma d’auteur exigeant. En attirant 327 386 spectateurs dans les salles, AS BESTAS fut l’une des belles surprises de l’année. Au-delà de cette reconnaissance publique, il y a cette oeuvre, troublante, parfois austère. Dès les premiers instants, l’ambiance est sèche, aride. Un homme

palabre dans un café où il connaît probablement tous les hommes du coin. Cet homme, c’est Xan (Luis Zahera), ce genre d’individu qui clame des vérités haut et fort tout en s’emportant pour faire le show. Son discours s’éternise tandis qu’un homme massif et rugueux nommé Antoine (Denis Menochet) s’apprête à sortir de cet endroit aux contours misérables. Il est alors apostrophé par le grand orateur qui lui réclame un « au revoir ». En deux mots et un regard, le cinéaste vient de poser une opposition qui s’éternise déjà depuis bien trop longtemps.

Le drame est déjà sous-jacent et pourtant parfaitement vivace. Les événements vont forcément basculer dans la tragédie si aucune solution n’est trouvée. Le coeur du problème ? Des éoliennes, qu’Antoine et son épouse Olga (Marina Foïs) ne veulent pas sur leurs terres. Contrairement à Xan et son frère Lorenzo (Diego Anido) qui profiteraient bien de cette implantation pour toucher l’argent promis et partir de ces montagnes où règne la misère. C’est certes le noeud dramatique majeur, mais la haine que voue Xan à Antoine est plus profonde encore : c’est celle d’un racisme assumé. Pour lui, les français n’ont pas à décider de leur sort, eux qu’il traite régulièrement de « colon » pour s’être entiché de ces terres qui ne leur appartiennent pas. La menace se fait de plus en plus forte jusqu’à atteindre un point de non-retour lorsqu’Antoine se met à filmer les actes des deux frères.

Deux mondes

AS BESTAS procure une sensation singulière et pose parfois question. Par exemple, pourquoi cet homme si balèze ne rend-il pas les coups qu’il reçoit ? Cette foi de vouloir régler les problèmes dans la non-violence peut interpeller, mais elle fait sens dans l’écriture même du personnage. C’est un homme cultivé

et réfléchi, plus enclin à discuter qu’à laisser éclater sa rage. L’intellectuel face à l’instinctif. Deux mondes qui cohabitent et qui pourraient même se réunir. Malheureusement, l’utopie n’existe pas chez Rodrigo Sorogoyen et le script opère un changement de ton hallucinant lors d’un long-plan dialogué remarquable de maîtrise. Là, le film entre dans une autre dimension et lance sa deuxième heure avec brio. Le film change sous nos yeux et le western montagnard se transforme peu à peu en drame familial où les rancoeurs du passé viennent se mêler aux questionnements du présent. La résolution peut paraître un poil abrupt et il est indéniable que le dernier acte est moins abouti que ce qui a été montré précédemment. Peut-être aurait-il fallu synthétiser davantage les idées et resserrer le montage même si les intentions du cinéaste demeurent solides et compréhensibles.

Finalement, c’est en cela que réside toute la force de AS BESTAS : il confronte et tente constamment de bousculer nos certitudes afin de questionner notre propre vision des choses.

AS BESTAS est actuellement disponible sur MyCanal.

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