Les désaxés, l’histoire d’un film maudit

LES DÉSAXÉS est un film hors normes, maudit, hanté par la mort. Son origine trouve racine dans la tragédie, celle de Marilyn Monroe qui apprend qu’elle vient de faire une grossesse extra-utérine qu’il faut rapidement interrompre pour sauver la vie de l’actrice. Son mari, Arthur Miller, décide alors d’adapter sa propre nouvelle en scénario et d’offrir à son épouse un rôle sur mesure qui montrera tous ses talents. En réalité, c’est déjà un cadeau empoisonné…

Chaos sur le tournage

Réalisé en 1961 par John Huston, LES DÉSAXÉS s’intéresse à une poignée de personnages marginaux, dans le décor sordide de Reno, ou dans le désert aride du Nevada. Autour d’une jeune femme fraichement divorcée gravitent des hommes cabossés par la vie, vieux cow-boy ou participant malchanceux d’un concours de rodéo. Le petit groupe s’enivre, partage des moments de bonheur et d’insouciance. On assiste à la naissance de l’amitié et de l’amour. Le cinéaste propose une vision édifiante de l’Ouest des années 50, où la liberté et la nature sont remises en cause par la modernité. Il met aussi en scène trois monstres sacrés du cinéma hollywoodien : Clark Gable, Montgomery Clift et Marilyn Monroe, donc.

Pour le coup, l’expression film maudit n’est pas qu’un effet de style. En plus d’un tournage sous tension, les trois acteurs disparurent chacun leur tour par la suite. Dès le début des prises de vues, les événements s’enchaînent : Marilyn Monroe est en pleine dépression et s’absente souvent du plateau, ce qui entraîne d’inévitables retards. Elle entame également une cure de désintoxication, bouleversant considérablement le calendrier. John Huston s’agace de cette attitude et sera rapidement rejoint par un Clark Gable à bout de nerfs. Goûtant peu aux « caprices » de Monroe, il boit et fume toujours plus, abîmant au passage une santé très fragilisée qui se rompra définitivement juste après la fin du tournage. Monroe, de son côté, exige de refaire plusieurs prises pour chaque séquence et fait pression pour que ses scènes avec Eli Wallach soient coupées car elle avait peur… qu’il éclipse sa performance ! Une requête folle qui témoigne du chaos prégnant qui envahit le plateau. Perdu dans toutes ces situations, Montgomery Clift semble complètement ailleurs, blindé d’anti-dépresseurs, paraissant insensible à ces multiples rebondissements.

Une oeuvre crépusculaire

Pour Monroe, c’est déjà le début de la fin. LES DÉSAXÉS sera son dernier film et marquera aussi l’épilogue de son mariage. Régulièrement conspuée par John Huston, l’actrice ne trouvera aucun soutien chez son mari qui paraît plus intéressé par la photographe Inge Morath, qu’il finira par épouser. Personne ne

s’étonne de constater que ce film est détesté par la presse puis boudé par le public. Rien ne s’est passé comme prévu et ce qui était à l’origine une consolation s’est vite transformée en un long purgatoire déformant. Aujourd’hui, il paraît difficile de dissocier la réalité et les qualités d’un film sublime qui porte la mélancolie avec une grâce infinie. Son aspect crépusculaire est forcément renforcé par les drames vécus, mais cela n’enlève rien à ses qualités intrinsèques. Loin d’être une célébration des grands espaces désertiques, le film s’attache à ses anti-héros dans un noir et blanc fabuleux dans lequel des mustangs sauvages sont capturés au lasso pour être vendus à des abattoirs où ils seront transformés en conserves de nourriture pour chiens. Une vision noire et implacable.

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